Un enfant de Gotham, voilà ce que je suis. Mes parents ne roulaient pas sur l'or quand ils m'ont eu. Même après en fait. Une semaine sur deux, ma mère partait très tôt le matin, travaillant comme vendeuse dans une boulangerie. Mon père était un simple ouvrier qui partait également tôt et qui rentrait tard le soir si bien qu'on ne le voyait quasiment jamais. Plus les années passaient et plus je remarquais que mes parents s'usaient physiquement pour joindre les deux bouts. Mais je n'étais qu'un gamin à l'époque, je n'avais pas conscience de leurs efforts pour m'offrir une vie convenable, je remarquais certaines choses comme leur fatigue physique mais je n'en tenais pas compte. En gamin insouciant et turbulent que j'étais, je préférais enchaîner les bêtises. Un jour c'était une vitre cassée. Un autre, une pomme qui était volée sur l'étal d'un primeur. Des bêtises propres à un gamin d'une dizaine d'années que je faisais en compagnie de mon frère aîné.

Puis vint l'époque de l'adolescence. Au fil des années, je m'étais découvert une passion pour le football américain. J'étais même plutôt doué pour ce sport. Il me permettait d'extérioriser toute cette énergie que j'avais à revendre. Je me souviens de mon année de Senior Year, mon père m'avait encouragé à persister dans ce sport. Il avait l'intime conviction que je pouvais réussir. Il le fallait si je voulais une meilleure vie que la sienne. Sur le moment, je l'ai écouté. Je ne me suis jamais autant dépensé que cette année là, si bien qu'une fois mon diplôme de High School en poche, j'ai décroché une bourse. L'université m'ouvrait ses portes grâce au football. Sans lui, je n'aurais jamais pu me payer des études. J'enchaînais les années pour valider mon Bachelor's degree en quatre ans. Mon point fort restait le football, pourtant parmi toutes les matières que j'avais choisi, la psychologie m'intéressait vraiment. Je l'avais même pris en dominante. A cette époque, je pensais que j'enchaînerais sur un master et que je me destinerai à devenir psychologue. Aimer et pouvoir sont deux choses complètement différentes. C'est ainsi que lors de ma dernière année de Bachelor, je perdis tout pour la première fois. Mes vieux démons de mon enfance et de mon adolescence revenaient. Peut être que je n'étais pas du tout destiné à être psychologue puisque je fus incapable de me contrôler un jour. Et ce fut fatal. Le coup partit en pleine figure de mon entraîneur. Je ne sais même plus pour quelle raison, c'est ça le pire. Renvoyé de l'équipe. Bourse supprimée. Adieu mon master en psychologie. Je terminais mes quatre années d'études et pour les prochaines, je devrai les financer. C'était en 1994, je n'avais pas encore 22 ans.

Je pris donc une décision brutale, renonçant à mon envie du moment. Et je m'engageais dans l'armée. Les Marines plus précisément. Ma mère pleura le jour de mon départ. Mon père avait une mine contrariée, encore en colère de ce coup que j'avais donné. Pourtant au fond, je devinais qu'il approuvait ma décision. Il fallait que je m'éloigne de Gotham, que je respire un nouvel air et l'armée était une voie qui me l'offrait. Changement radical de vie. Et surtout apprentissage de la discipline. Dépassement de soi, apprendre à se contenir et à prendre sur moi-même. Les premières années furent une vraie galère. Je peux dire que j'en ai bavé. Je ne renonçais pas, non bien au contraire. C'était l'occasion de me dépasser, de faire véritablement quelque chose de ma vie. J'avais également le sentiment de rendre service à mon pays. D'abord enseigne au sein de la Navy, au fil des années, je tentais des concours internes pour prendre du galon. Mon comportement était même exemplaire, ce qui changeait radicalement de mon enfance et mes années d'université. Assez rapidement, je devins lieutenant. Il me fallut par contre plusieurs années pour acquérir le grade de lieutenant commander. Je me souviens de l'année où je l'ai obtenu. C'était en 2002. Ce fut cette même année que je rencontrais Lauren. Un vrai coup de foudre. Moi qui avais enchaîné jusque là les aventures sans m'attacher, je demandais Lauren en mariage quelques mois seulement après notre rencontre. L'année suivante, elle me donna ce qui fut mon plus grand bonheur et ma plus grande fierté, un fils que l'on prénomma Danny. Je conciliais assez bien ma carrière militaire et ma vie de famille. Jusqu'en 2005 où je dus partir en Irak. Ce fut un véritable déchirement. Je ne voulais laisser ni Lauren, ni Danny, pourtant il le fallait. Et cela dura deux ans. Deux longues années à voir grandir mon fils par le biais de photos et d'une webcam. Lauren m'envoyait des vidéos pour que je ne manque rien. Sa première rentrée à l'école. La découverte de la fête foraine. Le premier maquillage qu'il fit sur le visage de son oncle. Cette situation ne me convenait plus, je voulais voir mon fils grandir, ce n'était pas mon frère qui devait être à ma place, donnant l'image de la figure paternelle. Et je voulais être aux côtés de ma femme. J'avais également le mal du pays. Mes parents me manquaient. Mon frère et ma sœur également. Ainsi que Gotham. Peut être que je découvris véritablement le sens du mot « famille » à force de broyer du noir dans ma cabine.

Je rentrais enfin. Nous étions en 2007. Et je quittais l'armée. Mon statut d'ancien militaire, démissionnaire mais irréprochable me permit de me faire embaucher dans la police de Gotham. J'avais toujours cette envie de rendre service. Mon passé turbulent semblait loin derrière et moi et enterré. Dévoué à mon nouveau métier, je partais le matin et rentrait en début de soirée. Lauren me disait que je passais trop de temps à aider à garder la tranquillité dans les rues de Gotham. En plaisantant, elle me sortait souvent que je la trompais avec mon travail. Ce n'était pourtant pas le cas. Je trouvais toujours du temps pour notre fils et elle. Danny approchait de ses 5 ans. Il les aurait eu quelques semaines plus tard si le drame n'était pas arrivé. 21 juillet 2008. J'étais en service quand je reçus un appel. C'était Lauren. Je ne comprenais rien à ce qu'elle me disait, elle était trop en panique. Une boule se forma au niveau de mon ventre quand il y eut un blanc à l'autre bout du fil. Puis une voix que je ne connaissais pas. En arrière fond, j'entendis des bruits de voiture. Et une sirène. Elle me demanda de rentrer chez moi, ça ne pouvait pas attendre. Pas d'autre explication, j'entendis un cri. C'était Lauren. J'abandonnais mon service, délaissant mon équipier pour rentrer, l'angoisse au ventre, le plus vite possible. Quand j'arrivais dans la rue, il y avait une voiture de patrouille. Une ambulance. Des badauds. Je sentis mes jambes se paralysaient. Je n'osais plus avancer, de crainte d'apprendre ce qui s'était passé. Pourtant il le fallait. J'approchais quand je vis un médecin légiste qui commençait à refermer un sac. Un de ces longs sacs noirs dans lequel on met les corps. Sauf que celui qu'il semblait contenir était plus petit que la normal. La boule que j'avais dans le ventre s'était déplacée. A présent, elle était dans ma gorge. J'approchais, sentant mon corps trembler. Mes jambes menaçaient de se dérober à tout moment. Et ce fut ce qui se passa quand je vis le corps dans le sac. Si mince, déformé. Les bouclettes blondes tâchées de sang. J'eus une sorte de hoquet. Ma respiration sembla se couper. Et les larmes se mirent à couler. Mon fils, pourquoi lui ?

A partir de ce jour là, ce fut le début d'une lente et longue descente aux enfers. On ne se remettait pas de la perte de notre enfant, écrasé par une voiture. Tout dans la maison nous rappelait son souvenir. Ses jouets, ses vêtements. C'était comme si son âme planait entre nous. Elle tentait de nous garder unis mais nous n'y arrivions pas. Le chagrin nous rongeait trop Lauren et moi. Je partais travailler tel un automate, mais le cœur n'y était plus. Et quand je rentrais, c'était le silence. Ou les pleurs car ma femme ne pouvait s'arrêter de pleurer. J'aurais du me montrer fort à cette période, je ne le fus pas. Si je l'avais été, si j'avais réussi à prendre sur moi pour la relever, l'empêcher de sombrer, peut être que Lauren n'aurait pas mis fin à ses jours. Je l'ai retrouvé un soir en rentrant. La maison était plus silencieuse que d'habitude. Je fis les pièces une par une pour savoir où elle était, quand je poussais la porte de salle de bain. Mes jambes s'étaient dérobés à la vue du sang. Machinalement j'avais sorti mon gsm de ma poche pour appeler les secours. Je l'avais ensuite laissé tomber pour prendre Lauren dans mes bras. Mes mains avaient serré fortement ses poignets pour empêcher le sang de continuer à couler. Il était hélas trop tard. Mes larmes se mirent à couler alors que je la serrais contre moi.

Deux drames en quelques semaines d'intervalles. L'équilibre que j'avais réussi à trouver n'était plus. C'était comme si j'étais devenu une simple coquille vide qui ne vivait que parce qu'il fallait vivre, et trop lâche pour mettre fin à ses jours. Ma famille m'entourait pourtant je ne pouvais pas supporter leurs regards sur moi. Un jour je rentrais même dans une colère folle car ma mère était en train de parler de Danny avec mon frère. Ils évoquaient un souvenir de lui, un de ceux quand j'étais en Irak. C'était plus que je ne pouvais supporter. Et ce jour là, j'avais claqué la porte de la maison parentale, décidé à ne plus y remettre les pieds. Je ne me levais plus que pour me rendre à mon travail. Quand le téléphone sonnait, je ne décrochais jamais. Au poste, on me conseilla de consulter un psychologue. Je ne réussis pas à me décider à prendre un rendez-vous. Je commençais même à boire le soir, pour m'aider à ce que les heures passent plus vite jusqu'au lendemain. Jusqu'à ce moment où il faudrait me lever et retourner travailler. Un jour je reçus un coup de fil de ma sœur. Sa voix sembla inquiète. Je ne la rappelais pas. Pour qu'elle me demande comment j'allais ? Non merci. Les mois s'écoulèrent se transformant en années.

Voici venue l'année 2010. J'avais trouvé un certain rythme de vie. Je ne pouvais pas le qualifier d'équilibre, ça aurait été absurde. Boulot, alcool, dodo. Jusqu'à ce jour où l'on me demanda d'entrer dans le bureau du commissaire. Je n'envisageais pas l'hypothèse d'une promotion, je ne faisais plus rien pour la mériter. Il m'arrivait parfois de donner quelques coups à des hommes que j'arrêtais. C'était peut être pour ça que l'on me convoquait. On me demanda de m'asseoir, je préférais rester debout. Et la nouvelle tomba. Mes parents, mon frère et ma sœur avaient été sauvagement assassinés par une organisation secrète. Son nom ? Personne ne le savait. Quadruple deuils à gérer que je ne fis pas du tout. On m'accorda quelques semaines de repos pour que je puisse m'en remettre. Ne me sentant pas de reprendre mon travail, j'enchaînais sur des congés. Je broyais du noir, je ne savais pas à quoi me raccrocher. Un entraînement militaire, la pratique d'arts martiaux, une vie consacrée à la justice. Pour en arriver où ? Il ne me restait plut rien. Vraiment plus rien cette fois. Aucune famille et seulement un travail. Travail dans lequel on me jugea instable. On m'obligea à voir une psychologue qui déclara que j'étais un danger pour moi-même et donc pour les autres.Je n'avais plus toute ma tête soit disant. Et on me vira. Merci la police de Gotham, quasiment quatre ans à me dévouer pour elle et quand j'avais vraiment besoin d'une main tendue, elle ne me l'offrit pas.

Durant les semaines qui suivirent, je restais enfermé chez moi. Le téléphone sonna plusieurs fois les premiers jours. A force que je ne décroche pas, rapidement il ne sonna plus. La bouteille était devenue ma meilleure amie. Je ne sortais que le soir pour me rendre à l'épicerie du coin de la rue pour m'acheter des canettes. Un jour, je trouvais la porte close, fermée pour vacances. Ce qui m'obligea à aller quelques rues plus loin. Alors que je marchais le long du trottoir, j'entendis une voix. Un enfant qui chantait. Je m'arrêtais un instant, cherchant d'où elle provenait et je la vis. Une église dont la porte ouverte laissait filtrer à l'extérieur sa lumière. Hypnotisé par la voix de l'enfant, je gravis les marches et franchit le seuil, pénétrant dans cette demeure où je ne m'étais pas rendu depuis tellement d'années. La dernière fois devait remonter à mon enfance. « Why should I feel discouraged ? Why should the shadows come ? Why should my heart fell lonely ? And long for heaven and home » Je m'étais assis au dernier rang des bancs et j'écoutais cet enfant d'une dizaine d'années chanter. Sa voix résonnait dans tout l'église. « His eye is on the sparrow and I know he watches me. I sing because I'm happy. I sing beacause I'm free. » Ce soir là fut comme une révélation pour moi. Je ne sais plus combien de temps je suis resté dans cet église, même après le départ de l'enfant. Mais je me souviens être rentré chez moi, sans être allé à l'épicerie pour acheter de l'alcool. D'ailleurs je n'en bois plus depuis ce jour.

Les jours suivants, je commençais à me reprendre. J'achetais quelques journaux pour m'informer des nouvelles que j'avais manqué en restant enfermé chez moi. Les premières pages étaient pour la plupart déprimantes. Gotham était en proie au « mal ». La criminalité semblait gagner du terrain. Avec tous les drames que j'avais connu ces dernières années, je n'avais pas eu conscience de ça. C'était comme si j'avais été déconnecté de la réalité. Il était temps que je me reprenne. La police de Gotham ne voulait plus de moi. De mon côté, il me fallait un but. Quelque chose qui me permette d'avancer. Batman était le justicier le plus connu de Gotham. Il le resterait. Je ne comptais pas lui voler la vedette. De toute manière, il est beaucoup mieux équipé que moi. Mais j'étais décidé à devenir l'un des justiciers de la ville, à être loyal à l'homme chauve souris. Ma motivation, ce n'est pas de lui ressembler. Non, ma cause c'est de rendre à Gotham cette pureté qu'elle a perdu. Arrêter tous ces criminels qui ne méritent que de croupir derrière des barreaux. Sans eux, mon fils serait toujours vivant. Il n'aurait pas été écrasé par un chauffard qui avait pris la fuite. Sans eux, ma famille serait toujours là et non massacrée comme elle l'avait été. Je contactais des anciennes connaissances de l'armée, digne de confiance pour m'aider à m'équiper. C'est ainsi que naquit au début de l'année 2012 Azrael.

Azrael est l'ange de la mort dans plusieurs religions, il est considéré comme un subordonné à la volonté de Dieu. Je ne compte pas tuer tous ces criminels que je poursuis sous cette identité. Littéralement, Azrael signifie « que Dieu aide ». Alors mon but est d'aider tous ceux qui luttent contre la criminalité à Gotham et de stopper ceux qui rendent cette ville répugnante. Parallèlement, je me suis trouvé un nouveau travail. J'enseigne les arts martiaux à des gamins défavorisés, leur apprenant le dépassement de soi pour qu'ils apprennent à croire à leurs rêves et tentent de les réaliser. Si je n'ai plus rien à espérer pour moi en dehors de mon identité secrète, je peux au moins les aider eux.