Gotham, ville chimérique qui abrite le crime depuis déjà bien trop longtemps, était couverte par une voile d’obscurité depuis quelques heures déjà. La nuit s’était fermement ancrée sur chaque parcelle d’un ciel sans étoiles. Quelle heure était-il ? Dans l’appartement de Jenova, le petit oiseau turbulent de la vieille horloge en bois venait de s’égosiller pour annoncer minuit trente. A cette heure tardive, l’immeuble était plongé dans son calme platonique habituel, quoique, le troisième étage faisait toujours exception à la règle. Son habitante insomniaque n’imposait à l’appartement que 3 à 4 heures d’économie en électricité, au grand déplaisir du portefeuille. Qui dit lampe allumée, dit forcément que l’habitante en question s’y trouvait ? Pas forcément. Jenova Rowle n’est pas reconnue pour son attention avisée sur l’électricité. Un peu tête en l’air en ce qui concerne ses propres économies, il est parfois difficile de s’imaginer qu’il s’agissait d’un agent de la SWAT très habile et réputée. Oui, vraiment très difficile. Qu’en dirait la trentenaire ? Rien, que du vent !

D’ailleurs, encore ce soir, l’appartement avait beau être illuminé dans certaines pièces, aucune présence humaine n’aurait pu être détectée aux lunettes infra rouge, tout bonnement parce qu’il n’y avait personne dedans ! Jen’ était encore partie en expédition dans les rues malfamées de sa ville natale, assoiffée de frisson et d’action. Depuis enfant, l’ancienne militaire a eu tout le temps de démontrer qu’elle avait la carrure d’une Jeanne d’Arc plutôt que d’une Cendrillon. Née pour vivre une vie gorgée d’aventures et de surprises, la jolie brune a dût traverser des remparts de préjugés et de problèmes pour survivre dans ce monde de brutes machistes. Encore aujourd’hui, des murs se dressent en travers de son chemin, imprévisibles et tenaces, mais elle ne s’en plaint pas. Si Jen’ a choisi la voie de l’action et de l’imprévu à celle de la stabilité, c’est bien pour croquer à pleines dents dans une vie pimentée à souhait, non pas dans une vie éthérée et désincarnée. Un choix dur, mais qui a permis à la jeune femme de vivre comblée au grès des années depuis sa majorité. Bon, presque, parce que l’année passée au FBI n’était pas franchement terrible.

Quoiqu’il en soit, c’est aux alentours d’une heure trente du matin qu’une ombre se profila devant les imposantes fenêtres du salon. Tel un félin, l’ombre se faufilait avec aisance et habilité sur les rebords des fenêtres avant de se laisser glisser dans l’embrasure d’une porte vitrée dont seule l’habitante et la propriétaire étaient détentrices du jeu de clés. La propriétaire étant une vieille bécote qui avait passé l’âge de faire des galipettes dans les airs, l’acrobate en question ne pouvait être que l’agent de la SWAT revenant de son habituelle escapade nocturne. Jenova venait d’entrer dans son propre appartement par une entrée pour le moins inhabituelle aux yeux des autres, mais qu’importe. Cette dernière laissa la porte vitrée qui donnait accès sur un escalier de secours en piteux état qui débutait depuis une petite ruelle perpendiculaire à l’avenue. A la lumière du jour, quiconque observerait un peu plus longuement cette échelle en colimaçon s’apercevrait de la rouille qui avait finit par s’installer au fil du temps, grignotant le métal avec son avidité coutumière. Enfin bref, revenons à nos moutons ! Jen’, après s’être fait accueillir par Haddock, son labrador et meilleur compagnon depuis deux ans, partit se camper sur l’un des canapés en velours vert foncé formant un ‘U’ autour d’une table basse en chêne vernis. Heureusement, la nuit avait offert un temps sec et ses bottes ne laisseraient aucunes traces de boue collante sur son beau tapis marocain. Certes, un ramasse poussière, mais qui était agréable lorsqu’elle se promenait pieds nus dans l’appartement.

« Quelle soirée Haddock ! Une vieille bique a voulu se battre avec moi…une mémé ! Et le pire, c’est que ça m’a bien crevé…je me fais vieille mon toutou ! » Le canidé en question bondit sur les genoux de sa maîtresse pour venir lui léchouiller le visage. Une technique de relaxation ? « Bordel Haddock, pas lécher ! » Un coup de dents sur l’oreille suffit à faire comprendre au chien qu’il ne valait mieux pas embêter sa maîtresse maintenant, aussi se coucha t’il sagement au pied du canapé. « Bon toutou… » Jen’ fit un tour rapide dans la salle de bains pour se doucher et enfiler une tenue propre, du genre un jeans foncé et déchiré et un sous pull noir. Pas de pyjama ? Que nenni ! Si vous croyez que madame allait se coucher maintenant, vous vous fourrez le doigt dans l’œil ! Au lieu de quoi, Jen’ revint s’asseoir sur l’un des canapés, les bras chargés de dossiers, une barre de céréales fourrée en bouche et une tasse de café fumant dans l’une de ses mains. Elle réussit à déposer le tout sans rien renverser sur la petite table. Quelle habilité ! Wé bon bref, un peu de musique ne ferait pas de mal. Jen’ s’empara de la télécommande, non pas celle de la télévision, mais de sa vieille radio pour l’allumer et faire aller un cd de vieux Jazz refilé par un pote. Ahh le Jazz…y a rien de tel pour se détendre autour d’une tasse de café et de dossiers portant sur des affaires tordues et compliquées. Des gouttelettes d’eau provenant de ses boucles de cheveux mal séchés, venaient s’écraser sur le velours du fauteuil, mais elle n’en avait cure. Avalant sa barre de céréale à petites bouchées, Jen’ se laissa aller contre le dos du canapé, un dossier en main, sa tasse dans l’autre, prêt à faire travailler ses méninges pour encore une heure.