La petite fille était assise sur son lit. Elle venait de faire un cauchemar et s’était réveillée, en nages. La maison était calme et la pièce, plongée dans l’obscurité. La lune seule lui permettait de voir ses jouets et ses meubles. Pourtant, quelque chose clochait. Au début, elle ne comprit pas ce que c’était. Puis, l’odeur la frappa et la prit aux narines. Elle se mit à tousser. Non, quelque chose n’allait pas. Alors, elle se leva afin d’aller réveiller sa mère. A la seconde où elle passa la porte de sa chambre, elle entendit quelque chose se briser au rez-de-chaussée. Elle changea d’avis et se dirigea vers l’escalier. Plus elle avançait, plus il lui devenait difficile de voir et de respirer. Elle descendit malgré tout et traversa le vestibule. A la minute où elle ouvrit la porte du salon, elle fut aveuglée par les flammes qui envahissaient peu à peu la pièce. Sa mère était debout, au milieu de l’incendie, l’air hagard, comme si elle ne voyait rien, ne percevait rien. La fillette l’appela, une fois. Elle tenta d’élever la voix une seconde fois, mais elle sentit la fumée l’engourdir et prendre le dessus sur elle. L’instant d’après, tout fut plongé dans l’obscurité.

Selma s’éveilla en sursaut. Pour une fois, ce rêve n’appartenait à personne d’autre qu’à elle-même. Un souvenir, issu d’un passé vieux de plusieurs années, mais qui était encore aussi vif que si ces événements avaient eu lieu la veille. Elle se redressa et s’assit sur son lit, plongée dans ses pensées. Son esprit était si troublé qu’elle ne réagit même pas lorsque le téléphone sonna, jusqu’à ce que le répondeur prenne le relais. « Selma? Je sais que tu es là et j’en ai assez de parler dans le vide. Tout ça ne te ressemble pas, alors répond-moi, il faut qu’on s’explique ! » La voix s’arrêta, interrompue par un bip sonore. Caleb. Encore et toujours lui. Elle aurait voulu qu’il la laisse en paix. Pourtant, elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il y a une semaine, alors que les préparatifs de leur mariage étaient déjà bien avancé, elle lui avait soudainement annoncé, de but en blanc, qu’elle n’était pas prête et qu’elle préférait être seule pour le moment. Il avait bien vu qu’elle n’allait pas bien depuis quelques temps, mais il ne s’était visiblement pas attendu à un tel coup d’éclat. Elle non plus, d’ailleurs. Les mots étaient sortis tous seuls et avant même qu’elle n’ait pu les retenir, ils avaient été prononcés. Alors, elle avait pris ses affaires et quitté leur appartement. D’après ce qu’elle avait compris, lui aussi avait quitté la ville pour quelques temps. Il l’appelait parfois, mais jamais elle ne répondait. En vérité, il avait raison : tout cela ne lui ressemblait pas. Elle avait toujours été directe, trop directe, et voilà qu’elle se dérobait. Sans explication. La vérité était que tout changeait autour d’elle. Ses visions s’intensifiaient, sans qu’elle ne parvienne à les contrôler. Il lui semblait devenir folle.

Elle avait été normale, il fut un temps. Non, rien ne la prédestinait à être différente des autres. A sa naissance, elle ressemblait à toutes les autres petites filles. Comme toutes les autres, elle avait grandi. Elle était adorable, un peu trop bavarde parfois et aussi énergique qu’on aurait pu l’espérer. Quelque chose, pourtant, la différenciait des autres à l’époque : elle n’avait pas de père. Un jour, il était parti, sans que nul ne sache vraiment pourquoi. S’il y avait une bonne raison à cela, sa mère n’avait jamais voulu la lui fournir et toutes ses questions et interrogations demeurèrent à jamais sans la moindre réponse. Elle prit alors l’habitude de compenser ce manque par son imagination. Elle se figurait un père agent des services secrets, ou un justicier, dont les missions seraient trop secrètes et trop dangereuses pour qu’il demeure auprès de sa famille. Ce n’était pas qu’il ne les aimait pas, au contraire : elles lui manquaient toutes les deux. Simplement, il n’avait pas le choix. Elle l’avait tant rêvé qu’elle avait presque fini par y croire, sans doute un peu trop longtemps. Puis, l’imaginaire laissé place à la rancune le jour où elle comprit que s’il était parti, c’était tout simplement parce qu’il ne désirait pas être avec elles. Heureusement, elle avait toujours sa mère, cette femme qui l’avait soutenue et élevée du mieux qu’elle l’avait pu. Pourtant, Jane Seaton était bien loin de faire l’unanimité auprès de ses voisins. Exerçant le métier controversé de voyante, elle était vue comme étrange, ou insensée. Durant toute sa scolarité, la fillette eut à subir les moqueries des autres enfants à son sujet, mais elle au contraire, trouvait ces fantaisies amusantes. Elle aimait à voir en sa mère une sorte de magicienne, capable d’exaucer ses rêves les plus fous.

Elle avait toujours fait des rêves étranges, en particulier lorsqu’elle entra dans l’adolescence. Mais à l’époque, lorsque ce qu’elle avait vu se produisait par la suite ou dévoilait des choses qu'elle n'était pas supposée savoir, elle pouvait l’ignorer, prétexter une vague coïncidence. Elle se souvenait parfaitement de sa mère, et de ses visions qu’elle croyait alors n’être que des hallucinations. Elle refusait de lui ressembler et durant des années, elle ignora ce que son esprit lui dictait. Puis, quelques mois auparavant, ses visions s’étaient intensifiées. A chaque fois qu’elle touchait quelque chose, quelqu’un, elle était susceptible d’en avoir une. Parfois, elles étaient claires, d’autres fois elles nécessitaient d’être interprétées. Mais Selma se moquait bien de leurs significations et du fait qu’elles se réalisent, tant était grande sa crainte de perdre la raison. Alors, elle était allée voir sa mère, la seule personne susceptible de lui apporter des réponses. Malheureusement, comme presque à chaque visite, Jane était restée silencieuse face à ses supplications, ne semblant ni la voir, ni l’entendre. Puis, sans crier gare, elle tourna brusquement la tête vers sa fille, la fixant avec intensité. Un sourire de satisfaction se dessina sur son visage. « Toi aussi tu l’as, n’est-ce pas ? » La jeune femme eut beau la questionner, ce fut en vain : sa mère était déjà absente, à nouveau.

Que lui arrivait-il? Etait-il possible que tout cela soit vrai? Après tout, on avait vu des choses plus étranges, en particulier à Gotham. Pourtant, elle se sentait incapable d’y faire face, comme c’était le cas pour tout ce qui était susceptible d’échapper à son contrôle. Pourtant, il lui faudrait admettre à un moment où un autre qu’elle n’avait pas réellement le choix.

Elle se leva brutalement et se dirigea vers le répondeur, puis pressa l’un des boutons.

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