« Lilly-Rose, viens ici ! », cria ma mère. Je fis volte-face. Petite blonde aux yeux bleus, un ballon à la main, je ressemblais au stéréotype des jeunes allemandes, ces origines que je portais fièrement. Mon père était né à Munich, de parents allemands, eux-mêmes nés dans cette ville. Il était venu travailler quelques années à Gotham, avait rencontré ma mère dont il était tombé amoureux très rapidement et tous deux avaient sauté le pas ; ils avaient voulu se marier presque immédiatement. Alors que ma mère était enceinte de mon frère aîné, le couple avait déménagé en Allemagne, où ils avaient élevé leur petite famille qui s'était très rapidement agrandie. Mon frère et moi n'avions qu'une année d'écart et beaucoup nous pensaient jumeaux. Ma jeune soeur était arrivée alors que nous avions déjà sept et huit ans. Mais notre petite famille était unie. J'ai grandi avec cette idée de devenir journaliste. Je ne savais sans doute pas vraiment en quoi consistait ce métier lorsque je n'étais encore qu'une enfant mais le mot me plaisait. Mes parents m'avaient donc inscrite à toute sorte d'activités, en rapport avec l'écriture : le journal du collège, du lycée, et même à l'atelier des jeunes écrivains alors que je n'avais que six ans. Mais j'adorais sincèrement écrire. Je préférais d'ailleurs cela aux ateliers de cheerleaders, par exemple, ce que ne pouvaient comprendre mes amies. « Allez, tu serais canon avec le petit uniforme ! ». Mais je ne voulais rien entendre. Je me sentais déjà trop mûre pour mon jeune âge, m'ennuyant presque avec ces adolescents ou jeunes adultes. Je rêvais de quitter le pays pour retrouver les Etats-Unis, là où ma mère avait vécu toute sa vie avant de faire le choix de suivre mon père et où je savais qu'une grande carrière m'attendait. Mais il me fallut attendre encore quelques années pour cela. Mes parents n'avaient pas les moyens et je m'inscrivis dans une école non loin de chez moi. Fort heureusement, son enseignement y était réputé et je pus bénéficier d'une formation de qualité ; tout ce dont j'avais besoin pour devenir une grande journaliste.

Les mois passèrent et mes parents, certains que leurs deux premiers enfants avaient une carrière assurée de par leurs études, nous annoncèrent leur déménagement aux Etats-Unis, à Gotham, plus précisément. « Mais c'est si loin », dis-je dans un soupir. La vérité était que je ne m'étais encore jamais éloignée des miens. Mais à mon âge, je n'aurais pas dû avoir si peur. Mon père esquissa un sourire. « Je sais, mais ton frère et toi vous sentez bien ici, avec vos études, vos amis, et puis, vous pourrez venir nous voir quand vous voulez ». Il avait raison après tout. Je regardai mon frère. Il semblait approuver cette décision. Pas moi. Mais cela était totalement égoïste. Je me devais de vivre pour moi, de faire ce que j'avais envie, de grandir aussi. Cela ne pouvait me faire que du bien. Mon frère et moi décidâmes de prendre un appartement ensemble. Pour le moment, nous étions tous les deux célibataires, sans attache, alors cette situation nous convenait parfaitement. Mes parents nous aidèrent à aménager et quelques jours plus tard, ils s'envolèrent pour Gotham, avec ma plus jeune soeur. Tout irait bien pour eux, j'en étais certaine. Pour moi aussi.

Quatre années s'écoulèrent. Je venais de terminer mon master, désormais en quête d'un emploi. Je ne vivais plus avec mon frère, qui avait trouvé une petite-amie, avec laquelle il s'était installé. Mes parents vivaient toujours à Gotham, heureux comme jamais. Ils adoraient cette ville, ils appréciaient leur nouvelle vie et je ne pouvais que les comprendre. Pourtant, ils me manquaient. Je me sentais seule, ici. J'avais des amis, certes, mais pas de compagnon. A vingt-trois ans, je n'avais connu que quelques aventures, souvent de courtes durées, mais le grand amour n'avait pas croisé ma route. Alors, je restais focalisée sur mon métier. Il me fallait au moins ça. Après quelques mois à chercher désespérément, persuadée que j'allais en baver, je trouvai enfin le poste dont j'avais toujours rêvé, celui qui était fait pour moi. Je me plaisais sincèrement. Pour la première fois de ma vie, je me sentais vraiment bien. Le petit-ami pouvait attendre car il me fallait travailler et allier les deux me semblait pour le moment, impossible. Je me renfermai donc dans ce nouveau rythme. Métro, boulot, dodo. Je n'avais besoin de rien d'autre. Je voyais mon frère de temps à autre, qui filait le parfait amour avec sa ravissante fiancée car oui, ils avaient pris la décision de se marier dans une année, mais je n'avais sans aucun doute pas le temps d'envier sa situation. Je ne pensais que travail, travail, travail. Plus rien d'autre ne comptait alors que pourtant, le monde ne cessait pas de tourner. Je me décidai donc à sortir un peu. Nombreux étaient ceux qui me rappelaient comme il était important de profiter de sa jeunesse. Alors, je me forçai. Lors d'une soirée organisée par la boîte, je me retrouvai à parler avec un collègue. La discussion sembla durer des heures. Lorsque le jeune homme s'absenta quelques minutes pour se rendre aux toilettes, une amie travaillant dans le même service que moi, se rua dans ma direction. « Ce gars-là est un Dieu, Lilly. Si tu voyais comme il te dévore des yeux, en plus ! ». Je levai les yeux au ciel. Mais il est vrai que son charme ne me laissait pas indifférente. Malheureusement pour moi, je n'avais pas l'âme d'une femme fatale. « Laisse-le faire, alors. Je suis sûre que tu passeras la soirée avec lui, si tu fais un petit effort ! ». Mon amie n'avait pas tord. Le jeune homme me proposa de me raccompagner et lorsque nous fûmes devant chez moi, je lui proposai de monter boire un verre. Il ne repartit que le lendemain matin.

Notre relation dura plusieurs mois mais un beau matin, mon cher petit-ami me fit le discours habituel du garçon en pleine remise en question. « Je crois que nous devrions rester amis. Mais tu sais, tout cela est ma faute, tu es parfaite comme tu es mais je ne veux pas m'engager ». Il récupéra les quelques affaires laissées dans mon appartement et je ne le revis plus. Les traces de sa présences disparurent avec le temps mais pas les cicatrices sur mon coeur. Encore une fois seule. Je me rendis au mariage de mon frère sans compagnon, ce qui ne sembla pas échapper à la famille. Mais la vie était ainsi faite. Le temps passa et à vingt-huit ans, je restai vieille fille. Toujours bien occupée par le travail, refusant la plupart des invitations. Je restais fidèle à moi-même. Mais un beau matin, un coup de téléphone changea ma vie à jamais. Je reconnu immédiatement la voix de ma mère, brisée par les sanglots. « Ton père est gravement malade, il ne lui reste que très peu de temps ». Cette nouvelle fut un véritable choc. Mon père avait toujours été cet homme fort, celui que j'admirais tant et le savoir si faible à cette heure, me rendais malade. Il ne m'en fallu pas plus pour réserver un billet, prendre quelques jours de congés et m'envoler pour Gotham. Mon frère et sa femme nous rejoignirent également et nous passâmes nos derniers instants en famille. Le supplice de mon père ne dura que quelques jours puis il nous quitta, laissant une femme meurtrie et incapable de se relever. Je dois avouer que son départ fut un coup dur. Mais je savais donc ce qui me restait à faire : demander ma mutation pour les Etats-Unis. Je ne voulais pas laisser ma mère et ma soeur seules dans cette grande ville et retourner en Allemagne était bien trop difficile pour moi. Ma mutation acceptée, je me trouvai un petit appartement à Downtown et commençai ma nouvelle vie au Gotham Times.

Mais de sombres évènements avaient eu lieu en ville et la mort du célèbre Harvey Dent avait été un coup dur pour de nombreux habitants. Mon patron me demandait d'écrire des articles sur la culpabilité de Batman ou autres justiciers et cela ne me plaisait pas spécialement. Toutefois, nouvelle à Gotham, je me devais de rester discrète et je gardai mon opinion pour moi. Mais je dois dire que cette vie, bien différente de celle que j'avais en Allemagne, ne me plaisait pas plus que cela pour le moment. De nombreuses choses à régler dans la famille, une place à garder au Gotham Times, bref, il me fallait une activité pour ne pas perdre pied. Je décidai donc de devenir bénévole à l'orphelinat de Gotham. J'aimais les enfants et je me devais de les aider. Ou alors, peut-être avais-je besoin de leur aide pour me sentir mieux. A méditer.